Premier tour du monde français : un exemple de récit de voyage
Après les voyages vers l’Orient et l’Asie, le XVIIIe siècle est marqué par les grands voyages de circumnavigation. Des explorations systématiques sont organisées à la demande des rois et empereurs. Les grandes puissances mondiales ont en effet compris l’importance de ces grandes expéditions autour du monde : elles permettent d’étendre leur empire colonial, d’accéder à de nouvelles richesses et d’asseoir ainsi leur pouvoir. Elles sont aussi à l’origine de grands progrès grâce auxquels leur pays s’illustre dans les domaines scientifiques et techniques.
Le récit officiel
C’est le cas pour le premier tour du monde français organisé dans un but scientifique et ordonné officiellement par Louis XV. Dirigée par Louis Antoine comte de Bougainville (1729-1811), l’expédition prend la mer le 5 décembre 1766 depuis Brest. À son bord entre autres : un naturaliste, un ingénieur cartographe et un astronome. Le périple a pour objectif principal les terres australes, qui demeurent encore inconnues, mais aussi la découverte de nouveaux territoires à coloniser, l'ouverture d’une nouvelle route vers la Chine et la création de nouveaux comptoirs français aux Indes orientales.
Découverte d’un récit de voyage qui a marqué l’histoire...
Édité en 1771, le récit de voyage qu’en fait Bougainville est un récit officiel : preuve s’il en faut, l’épitre au roi qui ouvre l’ouvrage et dans lequel le navigateur s’adresse directement au souverain et principal “actionnaire et commanditaire” de son voyage. On comprend alors qu’il s’agit d’un véritable compte-rendu officiel de l’expédition, preuve de l’importance politique de ce type de voyage.
Malgré tout, le récit est fidèle et ne passe pas sous silence les difficultés du voyage : conditions de vie à bord, maladies...
Le voyage de Bougainville laissera finalement entier le mystère des Terres australes ; mais, grâce à lui, le monde découvre une île nouvelle, sur laquelle le navigateur met pied à terre le 6 avril 1768.
Je me croyais transporté dans le jardin d'Eden
Bougainville et tout son équipage ont trouvé l’île de Tahiti !
Le navigateur s’extasie devant la douceur du climat, la beauté des paysages et la fertilité des sols. C’est aussi la rencontre d’un peuple inconnu, décrit comme serein et en bonne santé, aux mœurs et coutumes à découvrir.
Cette “Nouvelle Cythère”, du nom de l’île grecque consacrée à Aphrodite, passe, aux yeux des français du XVIIIe siècle, pour le pays idyllique de l’amour et du plaisir.
Ce sont les descriptions de cette société tahitienne faites par Bougainville qui feront le succès de ce récit.
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Un voyage... mais pas que
En effet, elles inspirent aussi de grandes réflexions philosophiques notamment à Diderot dans son célèbre Supplément au Voyage de Bougainville.
Écrit en 1772 mais publié en 1796 de façon posthume, le texte paraît pour la première fois dans Opuscules philosophiques et littéraires.
À travers l'évocation d'une société tahitienne utopique, Diderot met en question les principes qui régissent l'organisation de la société. Il oppose les méfaits de la civilisation, au bonheur d’une vie simple et proche de la nature.
Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans nos terres le titre de notre futur esclavage. (...) Qui es-tu donc, pour faire des esclaves ?
Le texte est aussi une critique de la politique colonialiste de la France et de l’esclavage. En s’adressant directement à Bougainville dans son texte, le philosophe dénonce de manière claire l’objectif caché de ces grands voyages, et donc la politique de la France, et y oppose les grands principes des Lumières : liberté, tolérance et égalité.
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Le voyage : expérience plus personnelle
Pour lire une autre version du voyage de Bougainville, vécu et raconté de l’intérieur, il faut se plonger dans le récit de François Vivez (1744-1828). Il fait partie des deux chirurgiens embarqués sur l’Étoile, un des navires de l’expédition, et participe donc au tour du monde. Son récit, initialement destiné à ses amis, est plus personnel et détaille le quotidien à bord, au travers de ce qu'il vit, noté au jour le jour. Il est donc un bon complément au récit fait par Bougainville, nécessairement plus officiel.
Présentation // Patrimoine à mains nues janvier 2019 - Bibliothèque centrale