Gravure sur bois représentant des bateaux entourés des symboles royaux

Table des matières

Bougainville, Cook, Lapérouse… Leurs découvertes et les récits qui en ont été faits, ont contribué aux progrès culturels et scientifiques de leurs temps. C’est donc en regardant d’un peu plus près l’histoire de certains documents exceptionnels en lien avec leurs découvertes qu’on en perçoit l’importance. Ces récits de voyage montrent alors l'influence que celles-ci ont pu avoir sur la société pensante du siècle des Lumières : ils fournissent la matière première à cette science générale de l’homme qui se construit, notamment en France au XVIIIe siècle.


Premier tour du monde français : un exemple de récit de voyage

Après les voyages vers l’Orient et l’Asie, le XVIIIe siècle est marqué par les grands voyages de circumnavigation. Des explorations systématiques sont organisées à la demande des rois et empereurs. Les grandes puissances mondiales ont en effet compris l’importance de ces grandes expéditions autour du monde : elles permettent d’étendre leur empire colonial, d’accéder à de nouvelles richesses et d’asseoir ainsi leur pouvoir. Elles sont aussi à l’origine de grands progrès grâce auxquels leur pays s’illustre dans les domaines scientifiques et techniques.

Le récit officiel

Portrait de Bougainville par Joseph DucreuxDe Joseph Ducreux, "Louis-Antoine, comte de Bougainville", 1790, Château de Versailles

C’est le cas pour le premier tour du monde français organisé dans un but scientifique et ordonné officiellement par Louis XV. Dirigée par Louis Antoine comte de Bougainville (1729-1811), l’expédition prend la mer le 5 décembre 1766 depuis Brest. À son bord entre autres : un naturaliste, un ingénieur cartographe et un astronome. Le périple a pour objectif principal les terres australes, qui demeurent encore inconnues, mais aussi la découverte de nouveaux territoires à coloniser, l'ouverture d’une nouvelle route vers la Chine et la création de nouveaux comptoirs français aux Indes orientales.
Découverte d’un récit de voyage qui a marqué l’histoire...

20210512 carte bougainvilleDans "Voyage autour du monde (...)", Louis-Antoine comte de Bougainville, 1771, BnF

Édité en 1771, le récit de voyage qu’en fait Bougainville est un récit officiel : preuve s’il en faut, l’épitre au roi qui ouvre l’ouvrage et dans lequel le navigateur s’adresse directement au souverain et principal “actionnaire et commanditaire” de son voyage. On comprend alors qu’il s’agit d’un véritable compte-rendu officiel de l’expédition, preuve de l’importance politique de ce type de voyage.

20210512 titre bougainville

20210512 dedicace bougainville miniDans "Voyage autour du monde (...)", Louis-Antoine comte de Bougainville, 1771, BnF

 

 

 Malgré tout, le récit est fidèle et ne passe pas sous silence les difficultés du voyage : conditions de vie à bord, maladies...
Le voyage de Bougainville laissera finalement entier le mystère des Terres australes ; mais, grâce à lui, le monde découvre une île nouvelle, sur laquelle le navigateur met pied à terre le 6 avril 1768.

Je me croyais transporté dans le jardin d'Eden

Bougainville et tout son équipage ont trouvé l’île de Tahiti !
Le navigateur s’extasie devant la douceur du climat, la beauté des paysages et la fertilité des sols. C’est aussi la rencontre d’un peuple inconnu, décrit comme serein et en bonne santé, aux mœurs et coutumes à découvrir.

20210512 bateau bougainvilleDans "Voyage autour du monde (...), Louis-Antoine comte de Bougainville, 1771, BnF

Cette “Nouvelle Cythère”, du nom de l’île grecque consacrée à Aphrodite, passe, aux yeux des français du XVIIIe siècle, pour le pays idyllique de l’amour et du plaisir.
Ce sont les descriptions de cette société tahitienne faites par Bougainville qui feront le succès de ce récit.

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Un voyage... mais pas que

 En effet, elles inspirent aussi de grandes réflexions philosophiques notamment à Diderot dans son célèbre Supplément au Voyage de Bougainville.

Portrait de Diderot par Louis-Michel Van LooDe Louis-Michel Van Loo, "Denis Diderot, écrivain", 1767, Louvre

Écrit en 1772 mais publié en 1796 de façon posthume, le texte paraît pour la première fois dans Opuscules philosophiques et littéraires.
À travers l'évocation d'une société tahitienne utopique, Diderot met en question les principes qui régissent l'organisation de la société. Il oppose les méfaits de la civilisation, au bonheur d’une vie simple et proche de la nature.

Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans nos terres le titre de notre futur esclavage. (...) Qui es-tu donc, pour faire des esclaves ?

Le texte est aussi une critique de la politique colonialiste de la France et de l’esclavage. En s’adressant directement à Bougainville dans son texte, le philosophe dénonce de manière claire l’objectif caché de ces grands voyages, et donc la politique de la France, et y oppose les grands principes des Lumières : liberté, tolérance et égalité.

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Le voyage : expérience plus personnelle

Pour lire une autre version du voyage de Bougainville, vécu et raconté de l’intérieur, il faut se plonger dans le récit de François Vivez (1744-1828). Il fait partie des deux chirurgiens embarqués sur l’Étoile, un des navires de l’expédition, et participe donc au tour du monde. Son récit, initialement destiné à ses amis, est plus personnel et détaille le quotidien à bord, au travers de ce qu'il vit, noté au jour le jour. Il est donc un bon complément au récit fait par Bougainville, nécessairement plus officiel.

20210512 vivezCliquer sur l'image pour feuilleter le document


Présentation // Patrimoine à mains nues janvier 2019 - Bibliothèque centrale

L’autre visage des voyages d’exploration : colonialisme et esclavage

Les grands voyages d’explorations, soutenus par les pouvoirs politiques, n’ont pas seulement le noble objectif de faire progresser le monde scientifique. Le but est aussi principalement d’étendre son territoire... et de trouver de nouvelles richesses : installation de nouveaux “comptoirs”, nouveaux accords commerciaux... Bien souvent, il n’est d’ailleurs pas uniquement question d’épices, de tissus, d’or ou de pierres précieuses : le commerce d’êtres humains et la traite des esclaves venus de ces nouvelles terres colonisées est aussi l’une des tristes suites de ces voyages.

Esclavage et traite des esclaves

Le XVIIIe siècle marque l’essor du commerce colonial. Le recours aux esclaves se systématise : ils sont une main d’œuvre facile et peu chère. L'édition de 1724 du Code noir, rédigé sous l'autorité du roi, vient “encadrer” la traite des esclaves aux Antilles. En réalité, ce code fait d’un esclave un “bien” et ouvre finalement la porte à tous les abus.

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Les journaux de bord des navires négriers sont de tristes témoignages, mais riches d’informations.
Aujourd'hui, leur contenu très factuel nous interpelle forcément : loin de toute humanité, les esclaves sont traités comme des biens et n’apparaissent qu’à travers des chiffres notés dans des tableaux listant les marchandises transportées à bord. Certes, on veille aussi à les maintenir dans une bonne santé relative pendant le voyage : mais on devine plus derrière ces préoccupations la volonté de ne pas perdre les hommes, femmes et enfants que l’on se prépare à revendre à l’arrivée.
Des écrits édifiants mais qui rappellent néanmoins la réalité d’alors.

Extrait du manuscrit de "Journal de traite du vaisseau La Licorne" par Joseph BrugevinDans "Journal de traite du vaisseau La Licorne", Joseph Brugevin, 1787-1788, Bibliothèque municipale de Versailles (Ms Lebaudy in-fol 59)

Retranscrit par Gabriel Debien en 1982, le manuscrit du Journal de traite du vaisseau La Licorne conservé à la Bibliothèque municipale de Versailles est précieux par sa rareté et son état de conservation. Plus qu’un journal de bord, il s’agit plutôt d’un compte-rendu, rédigé par le capitaine Joseph Brugevin et probablement destiné au duc de la Rochefoucauld-Liancourt

20210512 titre journal traiteCliquer sur l'image pour feuilleter le document

Premières remises en question et condamnations

En opposition au système colonialiste et à l’esclavage, de vives critiques ne tardent pas à apparaître. Pour n’en citer qu’un, l'Histoire philosophique et politique des Établissements et du Commerce des Européens dans les Deux Indes paru en 1780, est l’un des livres phares de l’anticolonialisme. Il parait une première fois à Amsterdam en 1770, mais sans nom d’auteur : l'ouvrage n'est définitivement attribué à Guillaume-Thomas Raynal qu’en 1775, lorsqu’il en admet implicitement la paternité en faisant ajouter son portrait en frontispice.

Portrait de l'auteur en frontispice dans "Histoire des Deux Indes..." de Guillaume-Thomas RaynalDans "Histoire philosophique et politique (...)", Guillaume-Thomas Raynal, 1780, BnF

Après cette première parution à Amsterdam, l’ouvrage fut interdit en 1772, publié à nouveau en 1774 et mis immédiatement à l’index par le clergé. L’édition de 1780 dont un exemplaire est conservé à la Bibliothèque centrale de Versailles, la plus virulente, est brûlée en place publique… ce qui assurera immédiatement son succès. Parce qu’elle est la dernière version, elle est le plus souvent considérée comme la meilleure.
L’Histoire des Deux Indes condamne son auteur à l’exil : il ne reviendra qu’après la Révolution, échappant d’assez peu à la guillotine. L’un des reproches souvent fait à Raynal, personnage au passé mouvementé, est de ne pas avoir toujours reconnu que cette œuvre était collective : on y trouve des textes de lui, certes, mais aussi de Diderot (notamment l’ouverture du livre XI, restée célèbre), d’Holbach ou Naigeon.
Reste que l’ouvrage est une œuvre majeure. C’est l’une des premières fois en effet que seront dénoncés, parfois violemment, l’esclavage et l’exploitation des colonies.

Page de titre du "Livre onzième" dans l'"Histoire philosophique et politique (...)" de Guillaume-Thomas RaynalDans "Histoire philosophique et politique (...) Livre onzième", Guillaume-Thomas Raynal, 1780, BnF



Présentation // Patrimoine à mains nues janvier 2019 - Bibliothèque centrale

Les globes Vaugondy

 Aux XVe et XVIe siècles, les grands voyages d’exploration confirment ce que des savants de l’Antiquité avaient déjà avancé : la Terre est sphérique. Ce modèle se traduit par une large diffusion de globes produits par paire – l’un terrestre et l’autre céleste – et en série grâce à la technique de la gravure. À l’époque moderne, la présence d’explorateurs et d’astronomes sur tous les continents et l’amélioration des instruments d’observation permettent la découverte de nouvelles constellations, figurées sur ces sphères. Les globes, en particulier les plus précieux et coûteux exemplaires, ont fréquemment été utilisés dans un but décoratif, autant que comme un instrument d’aide à la navigation.

Didier Robert de Vaugondy (1723-1786), « géographe ordinaire du roi », auteur en 1757 d’un article sur l’art de la fabrication des globes pour l’Encyclopédie, réalise en 1751, sur commande de Louis XV et « pour l’usage de la marine », deux globes, l’un terrestre et l’autre céleste. Leur taille relativement modeste (45,5 centimètres de diamètre) est adaptée à l’embarquement à bord des vaisseaux. Leur vente par souscription est annoncée deux ans plus tard dans le Journal des Sçavans. Les prix varient entre 460 livres pour les globes « montés simplement » et 1 000 pour ceux dont les pieds richement décorés portent les armes du souscripteur.

Article de l'Encyclopédie sur les globes

20210526encyclopedieglobesGlobe terrestre et globe céleste, fig. 58, planche VII "Astronomie"in Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques avec leur explication, A Paris chez Briasson, David et Le Breton, 1767.Bibliothèque municipale de Versailles, AN J 28

 

Une paire est apportée, dès sa réalisation, au ministère des Affaires étrangères à Versailles : ayant suivi cette administration à Paris après la Révolution, elle est remplacée par une autre, de provenance inconnue, dans le bâtiment aujourd’hui occupé par la bibliothèque municipale de Versailles. Cette dernière conserve ainsi un globe céleste, issu de la première réédition de 1764, et un globe terrestre, provenant de la deuxième réédition de 1773.

20210524 globestCliquer sur l'image pour explorer le globe

 

Le globe terrestre, gravé par Guillaume Delahaye, présente les données cartographiques et les découvertes contemporaines.

La Nouvelle-Zélande, la côte orientale de la nouvelle Hollande et le détroit de l’Endeavour correspondent aux observations du premier voyage de Cook en 1770, mentionné sur le globe.

En revanche, l’archipel des îles de la Société, repérées par Cook, et les îles découvertes par Kerguelen en 1772 ne figurent pas sur cette édition. Le Nord-ouest canadien est laissé en blanc, avec un texte évoquant l’existence possible, et très controversée au XVIIIe siècle, d’une mer intérieure à cet endroit.

 

 

 

  

 

20210525 globescCliquer sur l'image pour explorer le globe céleste

Le globe céleste, dessiné et gravé par Gobin, est une réédition de celui de 1751 « augmentée des constellations de Mr Delacaille », abbé qui se rendit célèbre par la publication du catalogue de 9800 étoiles de l’hémisphère Sud, ainsi que par l’élaboration, depuis son observatoire du Cap puis de la Réunion (1751-1754), de 14 nouvelles constellations représentant les principaux instruments des arts et des sciences des XVIIe et XVIIIe siècles (le Téléscope, le Microscope ou encore l’Antlia, machine pneumatique sur le modèle de celle de Denis Papin).

 Les motifs figuratifs animaliers et mythologiques des constellations classiques, principalement celles de Ptolémée, sont dessinées à l’aide de lignes continues, tandis que celles découvertes aux XVIIe et XVIIIe siècles sont représentées par des pointillés.

Près du pôle nord est figurée la constellation du Renne, créée par l’astronome Le Monnier en 1736 suite au voyage de Laponie mené par Maupertuis qui a prouvé l’aplatissement de la Terre aux pôles – constellation aujourd’hui obsolète. 

La BnF conserve elle aussi un globe de ce type, numérisé en 3D....

 

 

Sur les globes et leurs éditions successives figurent ainsi un état des connaissances cartographiques et astronomiques contemporaines, sans cesse remises en question, corrigées et précisées au cours des grands voyages d’exploration.

 


Pour aller plus loin

> Histoire de l'édition française vol.2 Le livre triomphant sous la direction de Roger Chartier et d'Henri-Jean Martin, Fayard, 1990 

Sur l'ouvrage Histoire philosophique et politique des Établissements et du Commerce des Européens dans les Deux Indes

Le billet du blog de Gallica consacré à l'histoire de l'ouvrage et à son auteur

Ressources autour de l'esclavage et la traite des esclaves en France

MANIOC, bibliothèque numérique rassemblant des documents sur la Caraïbe, l'Amazonie, le Plateau des Guyanes et sur les centres d'intérêt liés à ces territoires

Les ressources en ligne sur Gallica autour de l'esclavage

> Les Ressources d'archives sur l'esclavage et la traite négrière

> Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions, publié par les Archives de France, 2007

Ressources sur l'art des globes

> Monique Pelletier, "Les globes dans les collections françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles" In : Cartographie de la France et du monde de la Renaissance au Siècle des lumières [en ligne]. Paris : Éditions de la Bibliothèque nationale de France, 2002 (généré le 22 mai 2021). http://books.openedition.org/editionsbnf/1063

> Le monde en sphères, 2 500 ans d’histoire de la représentation de la Terre et de l’univers [en ligne]. Bibliothèque nationale de France. Lien vers l'exposition virtuelle de la BnF.

Pour en savoir plus sur nos présentations de documents "Patrimoine à mains nues"

Image renvoyant à la présentation des Rendez-vous patrimoine

 


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