Quatre dialogues poétiques, fort antiques, joyeux et facétieux
À l'occasion de sa mise en ligne en intégralité, découvrez l'histoire de l'édition originale de ce petit texte au passé plus que mouvementé.
Le Cymbalum Mundi est l’un des livres les plus célèbres conservés par la bibliothèque de Versailles. Réputé "impie", condamné par la justice et décrié par des grands noms de son temps, il est aujourd’hui maintenu à l’abri des regards, rarement exposé et traité avec le plus grand soin par les générations de bibliothécaires qui se sont succédées. Ce livre mérite-t-il autant d’égards ?
Assurément oui, car il s’agit du seul et unique exemplaire qui nous soit parvenu entier.
Ce livre de petit format paru à Paris en 1537 sous les presses de Jehan Morin, un jeune libraire qui semble avoir voulu se spécialiser dans la littérature satirique et polémique de son temps et s’être montré assez sensible aux thèses de la Réforme. Quant à l’auteur Bonaventure des Périers, il prend violemment parti dans une querelle de poètes qui fait alors grand bruit et apostrophe directement le roi. François Ier a-t-il apprécié d’être ainsi pris à témoin ? Toujours est-il que c’est lui qui demande au Parlement de Paris de se saisir du Cymbalum Mundi dès sa parution, y trouvant : "de grands abus et hérésies" et demande au Premier Président de la Cour de “s’enquérir du Compositeur et de l’Imprimeur pour l’en avertir, et après procéder à telle punition qu’il verrait estre à faire"1.
Le sort des protagonistes est tragique : Morin est sans doute mort de mauvais traitements en prison et Bonaventure des Périers se suicide vers 1543 en se jetant sur son épée2.
Le livre ne disparaît pas pour autant ; l’ensemble des copies de l’édition de 1537 est détruit à l’exception de deux exemplaires, et l’édition lyonnaise de 1538 échappe à ce sort3.
Qu’en est-il du parcours de l’exemplaire conservé aujourd’hui à Versailles ? Il convient d’écarter tout d’abord la piste de l’abbé Goujet, pourtant à l’origine d’une partie du fonds auquel appartient aujourd’hui le Cymbalum mais n’ayant jamais eu cet exemplaire en main. La présence d’un fichet révolutionnaire (très partiellement conservé) montre que l’ouvrage a fait partie des saisies révolutionnaires avant son dépôt à la bibliothèque de Versailles. Sa reliure très modeste correspond à l’exemplaire mentionné dans le catalogue de la vente de la collection du marquis de Calvière en 1778, "avec la fameuse vignette de la pauvreté et l’advertissement"4. Or, si l’on suit les conclusions de Pascal Ract-Madoux, Louis XVI s’est porté acquéreur de la collection Calvière dans sa totalité5. Il est alors possible d’affirmer que ce livre se trouvait au château de Versailles en 1789, parmi les autres pièces très rares de la collection Calvière.
L’exemplaire de Versailles est pourvu de deux pages de titre (le premier étant un fac-similé réalisé au XIXe siècle selon le procédé Pilinski6) et le dernier feuillet a été remonté ; enfin, sur l’avant-dernier feuillet de garde, quelqu’un a recopié à l’encre brune la supplique de Jehan Morin au chancelier du Bourg telle qu’elle se trouve dans l’exemplaire de 1538 conservé à la Bibliothèque nationale de France et recopiée par Jacques Dupuy. Cette copie n’a pu être réalisée qu’après 1778 (elle n’est pas mentionnée au catalogue de la vente Calvière), ce qui montre que Louis XVI avait confié le traitement de ce fonds à l’un de ses bibliothécaires.
En 2000, un colloque universitaire à Rome sur le Cymbalum Mundi a donné lieu à six cents pages d’actes7 : il est plus que probable que ce petit livre si extraordinaire continue à faire parler de lui, près de cinq cents ans après sa parution.
Notes et références :
1. Cymbalum Mundi ou Dialogue satirique […] avec une Lettre critique par Prosper Marchand, nouvelle édition, Amsterdam, Arkstée et Merkus, 1753, p. XI-XIII.
2. Henri Estienne, "Sur les Hasles" Apologie pour Hérodote, [s.l.n.], 1607, p. 249.
3. Cymbalum Mundi, Lyon, Benoist Bonnin, 1538.
4. Catalogue de la bibliothèque de feu M*** consistant en livres anciens et rares, qui ont été recueillis avec le plus grand soin depuis avant le règne de François Premier jusques et compris le règne de Louis XV, Avignon, Mérande et Dubié, 1778, p. 15. Figurent aussi à ce catalogue les autres œuvres publiées chez Morin.
5. Pascal Ract-Madoux, « Deux grands amateurs de littérature française identifiés, le marquis de La Vieuville et le marquis de Calvière », dans Revue d'histoire littéraire de la France, 2015, n° 1, p. 103-114.
6. Trevor Peach, « Notes sur l’exemplaire unique de la première édition du Cymbalum Mundi (1537) » dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 54 (1992), p. 715-723.
Pour aller plus loin :
Le site consacré au Cymbalum Mundi : https://cymbalum-mundi.com/
Retrouvez le texte de cet article dans son intégralité (par V. Haegele)
dans le catalogue de l'exposition Trésors des bibliothèques de Versailles (2023)
en vente à la Bibliothèque Centrale (5 rue de l'Indépendance américaine) et en librairie