BERNARD NAUDIN (1876-1946)
Un illustrateur berrichon dans les collections de la Bibliothèque municipale de Versailles
L'exposition Jenny de Vasson de la Bibliothèque municipale de Versailles (2020) nous a permis de découvrir une photographe amateur qui, entre le Berry et Versailles, fut constamment entourée de ses amis, des intellectuels et des artistes. Parmi eux, Bernard Naudin, illustrateur berrichon, tenait une place toute particulière que nous vous avons fait découvrir lors de la séance de Patrimoine à mains nues du 10 octobre 2020.
Bernard Naudin est né à Châteauroux (Indre) le 11 novembre 1876. Son père, Silvain Célestin, était horloger et bijoutier à Châteauroux. Lorsque ce dernier meurt en 1890, il laisse Naudin orphelin de père à l’âge de 14 ans. Celui-ci est alors élevé par sa mère Adèle Léontine Marie chez sa grand-mère maternelle Marguerite Louise Dubarry, antiquaire à Châteauroux. C’est également à partir de 1890 qu’il commence à fréquenter les Vasson qui vont contribuer à son éducation, comme une véritable famille d’adoption. Le père de Jenny, Paulin de Vasson, l’encourage alors largement à s’orienter vers le dessin. Si sa première formation vient indéniablement de son père horloger, il fréquente également le peintre Jean-Baptiste Bourda à Châteauroux. Il part pour Paris en 1893, où il suit les cours de dessin de l’Académie Colarossi avant d’obtenir une bourse de sa ville natale en 1897, lui permettant d’entrer à l’École des Beaux-arts de Paris où il a Léon Bonnat comme professeur.
Les débuts : presse et sujets militaires
Premiers sujets : la peinture militaire
Bernard Naudin expose pour la première fois au Salon en 1901 et présente une gouache sur un sujet guerrier. Depuis l’enfance, l’artiste est en effet fasciné par le milieu militaire, particulièrement celui de l’époque révolutionnaire et impériale, notamment grâce à la boutique d’antiquités de sa grand-mère où il a été élevé, qui comprenait de nombreux équipements de soldats. Le musée Bertrand à Châteauroux en conserve quelques exemples, ainsi que des portraits.
Les illustrations pour la presse
Bernard Naudin se consacre par la suite presque exclusivement aux illustrations. Il travaille notamment pour la presse dans des journaux satiriques tels que le Cri de Paris et l’Assiette au beurre. Pour ce dernier, il est par exemple le dessinateur principal du n° 389 du 12 septembre 1908, consacré à « l’enfance coupable », signant un numéro poignant sur un autre thème qui lui est cher tout au long de sa carrière.
Source : gallica.bnf.fr
Présentation // Patrimoine à mains nues du 10 octobre 2020 - Bibliothèque centrale
La Première Guerre mondiale
La presse et les croquis de tranchées
Pendant la Première Guerre mondiale, Bernard Naudin est mobilisé comme sergent d’infanterie et participe notamment à la bataille de la Marne en septembre 1914. Ses talents de dessinateur sont alors utilisés pour des reconnaissances topographiques (terrain, placement de l’ennemi) pour lesquelles il obtient la croix de guerre en 1915. En parallèle, il envoie du front de nombreux dessins pour des journaux destinés aux soldats : le Bulletin des armées de la République, mais aussi Le poilu et L’Horizon, des « journaux des tranchées » réalisés par les Poilus, pour les Poilus.
Dans les tranchées, il couvre de dessins ses carnets de croquis, immortalisant la vie quotidienne de ses camarades : misère, gloire, instants tristes, émouvants ou joyeux. Certains ont été directement publiés pendant la guerre chez René Helleu, sous une jaquette bleu horizon, rappelant la couleur des uniformes des soldats français.
Bernard Naudin prend également part à des campagnes de communication du gouvernement français pour l’effort de guerre, notamment dans le cadre de la souscription au deuxième emprunt en 1916, pour laquelle il réalise affiches, certificats de souscription et publicités dans la presse.
Il participe aussi au Salon des armées, exposition qui s’est tenue au jeu de Paume à Paris, de décembre 1916 à février 1917. Organisée par le Bulletin des Armées de la République, elle présentait des œuvres d’artistes du front, français ou alliés, ou de blessés, et le profit des entrées était reversé au Secours national. Naudin y présente de nombreux dessins militaires, et en illustre également le catalogue et le diplôme des artistes exposants.
Rôle dans la littérature : textes guerriers et de mémoire
Afin de réaliser tous ces projets patriotiques, Naudin est réformé dès 1916. Il participe alors aux illustrations de plusieurs ouvrages littéraires sur la guerre comme La Guerre, Madame de Paul Géraldy (Helleu, 1918) et Ce que disent nos morts d’Anatole France (Helleu, 1916). Ce dernier est un texte bref, rendant hommage aux morts sur le front et exhortant à combattre, illustré de misérables tombes mais aussi d’emblématiques glorieuses (drapeaux, militaria…).
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Les sujets folkloriques : de la joie à la mort
Les sujets rustiques
D’origine berrichonne, Bernard Naudin reste, tout au long de sa vie, très attaché à son Berry natal. Tout comme Jenny de Vasson par ses photographies, il aime dessiner les paysages rustiques et la vie quotidienne des habitants de sa terre natale, particulièrement celle des paysans. Il a ainsi participé à plusieurs projets éditoriaux liés à cette région, par exemple Monsieur Lancelot à l’abbaye de Saint-Cyran de Jacques Des Gachons (Bosse, 1927) ou encore lors du centenaire de la naissance de George Sand en 1904 où il crée affiches et invitations. Naudin a également la première place pour les Chansons populaires dans le Bas-Berry (Gargaillou et Rey, 1930-1931) : cet ensemble de cinq volumes, conçus dans un objectif régionaliste par deux instituteurs locaux, Barbillat et Touraine, rassemble de nombreux textes et partitions de chants berrichons, illustrés par des artistes de la région. Naudin réalise ainsi toutes les couvertures et orne ces pages dédiées à la musique de nombreuses scènes paysannes ou plus urbaines, reproductions de dessins à la plume ou de xylographies, illustrant la vie dans le Berry.
« Chansons populaires dans le Bas-Berry », Paris, éd. Du Gargaillou et E. Rey, 1930-1931, 5 vol. Bibliothèque municipale de Versailles, Holmès G 209-213.
Les saltimbanques et le cirque
Observateur du monde des rues, Naudin appréciait regarder les spectacles de cirque sur la grande place de Châteauroux lorsqu’il était enfant et il a lui-même participé à quelques spectacles en se faisant appeler « le saltimbanque Naldini ». Dans cette continuité, il est amené à illustrer des partitions musicales et il propose notamment sur le sujet un ensemble de planches : Musiciens des rues et des cours, publié chez Helleu et Sergent en 1921. Ces gravures sur bois représentent de manière naturaliste des saltimbanques (homme-orchestre, accordéoniste), souvent accompagnés d’enfants des rues, révélant ainsi la réalité de la vie urbaine, avec une certaine mélancolie. Elles sont également un manifeste du style de Bernard Naudin. Certaines sont des gravures de G. Aubert, d’après des dessins de Naudin quand d’autres sont des gravures du burin même de l’artiste berrichon (double signature ou non). Cela doit nous rappeler l’ambivalence des illustrations et le recul avec lequel il faut regarder ces œuvres. Témoignant d’un sujet de prédilection de l’artiste, les planches de la main de Naudin montrent un traitement brut des formes d’une grande intensité. Le visage des enfants est également très représentatif de son art : leurs bouches aux commissures baissées leur donnent un air à la fois triste et poupon que l’on retrouve tout au long de la carrière de Naudin.
« Musiciens des rues et des cours », Paris, chez Helleu et Sergent, 1921. Bibliothèque municipale de Versailles, Couderc H 129.
Sujets macabres et miséreux
Le naturalisme avec lequel il donne à voir le monde urbain le conduit inéluctablement vers des représentations du peuple démuni, à la fois tristes et dénonciatrices. Ce sont parfois les sujets que l’on retrouve dans la presse satirique évoquée plus haut, ou pour des ouvrages comme Les villes malades de Paul Lantelme (La Nouvelle Revue, 1921). La noirceur du monde tel qu’il le représente atteint son paroxysme dans Le fléau d’Emile Verhaeren (Kaelin, 1927). Ce poème est extrait des Campagnes hallucinées, un recueil dans lequel le poète belge traite de l’exode rural et des maux de l’homme moderne au tournant du siècle. « Le fléau » est certainement l’un de ses textes les plus macabres, où les thèmes de la mort et du peuple démuni se croisent. Cette édition reprend uniquement ce texte, écrit et illustré à la plume par Naudin qui propose une série d’illustrations terribles, dont la force expressionniste est saisissante.
Émile Verhaeren (1855-1916), "Le fléau", fac-simile d’un manuscrit illustré par Bernard Naudin, Paris, Martin Kaelin, 1927, Bibliothèque municipale de Versailles, Couderc I 96.
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Sujets glorieux, historiques ou fantastiques : les illustrations de romans et de nouvelles
Le goût du costume : le thème du XVIIIe siècle
Comme nous l’avons vu, Bernard Naudin avait un certain goût du costume et s’il aimait se grimer lui-même, les illustrations sont souvent terrain propice à ce penchant. Les éditeurs font ainsi appel à lui pour des projets autour des philosophes des Lumières comme Les rêveries d’un promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau (Kieffer, 1925) ou encore Le Neveu de Rameau de Denis Diderot (Blaizot, 1924). Dans ce dernier ouvrage, une belle édition composée à la fois d’eaux-fortes originales de Naudin et de gravures en taille-douce de Maurice Potin d’après les dessins de l’artiste berrichon, on retrouve son trait vif et un grand soin à rendre les époques ou les situations décrites.
Denis Diderot, « Le neveu de Rameau », Paris, Auguste Blaizot, 1924, Bibliothèque municipale de Versailles, Couderc H 124.
Son goût pour la période révolutionnaire, admirée dans les costumes vendus par sa grand-mère dans sa boutique d’antiquités, est également représenté grâce à ses illustrations pour l’Almanach illustré de la Révolution en 1914 ou encore pour Les dieux ont soif d’Anatole France (Calmann-Lévy, 1931) où son trait vif et son humour mais aussi son naturalisme mélancolique sont transposés à l’époque de la Terreur. Bernard Naudin participe également à l’ouvrage France Amérique, 1776-1789-1917, Déclaration d’Indépendance. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Message de guerre du président Woodrow Wilson. Réponse de M. Alexandre Ribot (Helleu, 1918), un ouvrage bilingue consacré à l’amitié franco-américaine et reprenant trois textes fondateurs pour l’Histoire de ces deux pays. Naudin réalise les décors d’encadrements et de trophées militaires pour ce livre, à la manière de ceux proposés pour le Bulletin des armées de la République par exemple, mais on y retrouve à la fois les armements de la Grande Guerre, et ceux du XVIIIe siècle et de la période révolutionnaire.
Du rocambolesque à l’extraordinaire
Bernard Naudin participe aussi à des projets d’édition de textes romanesques du XIXe siècle. Pour Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert (Librairie de France, 1923), il fait publier des dessins illustrant les moments clés de l’histoire, de la scène de jardinage à la dissection, en passant par la scène de la rencontre entre les deux héros pour laquelle l’artiste suit le texte avec soin et humour. Il illustre également les Histoire extraordinaires d’Edgar-Allan Poe (Helleu, 1916) par des vignettes d’une grande poésie.
Gustave Flaubert (1821-1880), "Bouvard et Pécuchet", Paris, Librairie de France, 1923, Bibliothèque municipale de Versailles, Rodouan F 81.
Jusqu’à sa mort en 1946, Bernard Naudin est un artiste prolifique dont le talent et l’expressivité sont visibles dans toute leur variété grâce à ses illustrations, dont la Bibliothèque municipale de Versailles conserve certains chefs-d’œuvre. Des dessins de presse aux illustrations romanesques en passant par les témoignages de la Grande guerre et les gravures d’édition, l’artiste berrichon se démarque tantôt par une mélancolie parfois macabre, tantôt par une joyeuse naïveté. Il a su véritablement laisser sa marque, ou plutôt son "N", dans le paysage livresque français et on ne manquera pas de reconnaître ses encadrements ornementaux ou ses visages enfantins.
Présentation // Patrimoine à mains nues du 10 octobre 2020 - Bibliothèque centrale
Pour aller plus loin :
- Marie Berthail, Bernard Naudin : l'œuvre gravé, catalogue raisonné, Paris, Auguste Blaizot, 1979.
- Paul Cornu, « Bernard Naudin, dessinateur et graveur », Les cahiers du Centre, 4e série, 1912
- Félix Fénéon, Guillaume Janneau et Pascal Forthuny (rédacteurs), « Un album de Bernard Naudin », Bulletin de la vie artistique, 2ème année, n° 1, 1er janvier 1921, p. 23.
- Pascal Forthuny, « Bernard Naudin », L’art et les artistes, 4e série de guerre, n° 5, 1919, p. 4-34.
- Bernard Gagnepain, Un maître du Livre, Bernard Naudin, Châteauroux, La Bouinotte, 2020.
Liste des documents illustrés par Bernard Naudin consultables à la Bibliothèque72.47 Ko
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